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Himal Race 2002 : de l'Annapurna à l'Everest
Course de 1050 km au Népal
Annapurna Himal (Photo Wikimedia Commons)
Le parcours de l'Himal Race
L'Himal Race est une course exceptionnelle qui remonte d’abord le sanctuaire des
Annapurnas sous forme d’une marche
de liaison pour rejoindre le camp de base des
Annapurnas (ABC) point de départ
de la compétition. Ensuite, les coureurs doivent rejoindre le camp de base de
l'Everest 23 jours plus tard après 1 050 km parcourus et 80 000 m de dénivelé
cumulé.
Pour ma part il était prévu dès le départ d’arrêter la course après la 12e étape
à Trisuli Bazar, soit environ 605 km et 46 000 m de dénivelé cumulé. C’est le
parcours normal de plusieurs treks : le sanctuaire des Annapurnas, le tour des
Annapurnas, le tour du
Manaslu et le début du Gosinkud, représentants
normalement 60 jours de trek.
L’ampleur du parcours permet de traverser une multitude de régions, de
populations, de climats et de paysages. Ainsi il est possible de découvrir,
parfois dans la même journée, les paysages désertiques près du Mustang, la haute
altitude avec plusieurs cols à plus de 5400 m, les zones agricoles jusqu’aux
forêts tropicales peuplées de singes. Les contrastes sont également visibles
dans les populations, avec une grande influence Tibétaine dans le nord des
Annapurnas ou au contraire une influence Hindouiste dans le sud. L’impact du
tourisme est également plus ou moins visible, il est par exemple facile de
trouver du Coca Cola dans presque tous les villages du tour des
Annapurnas alors
que la région du
Manaslu est restée très sauvage et beaucoup plus authentique.
Coureurs de l'Himal Race (© P. Gatta)
Le règlement de l'Himal Race
Le règlement est relativement simple ; un point de départ, un point
d’arrivée, entre les deux les concurrents ont le choix de l’itinéraire,
certaines étapes comportant toutefois un point de contrôle obligatoire. Entre
ces deux points le chrono tourne inlassablement, laissant les coureurs face au
dilemme de s’arrêter pour déjeuner ou pas.
La course se déroule en autonomie, c'est-à-dire que chaque concurrent doit
porter tout le matériel nécessaire pour l’ensemble de la course et des marches
de liaisons. Cela inclus le sac de couchage, les vêtements, la pharmacie, les
affaires de toilette, le matériel technique (petite corde, mousqueton, crampons
ultra light...), les vivres de course, le réchaud, le combustible, un couteau,
la ration de survie de 3000K calories, une deuxième paire de chaussures, le
matériel de secours… Au final cela donne environ 9.5kg, plus l’eau. La
préparation du sac prend des jours, avec la sélection du matériel, la chasse au
poids (découdre les étiquettes, couper les sangles et enlever les « froufrous »
inutiles permet de gagner 10%). En limitant les vêtements, en particulier
sous-vêtements, chaussettes et tee-shirts, on est obligé pendant la course de
faire un minimum de lessive, ce après 7 ou 8h d’efforts, réduisant d’autant les
périodes de repos.
Himal Race (© P. Gatta)
Le climat et la météo sur l'Himal Race
Les températures n’ont jamais été extrêmes, probablement de -10º à +27º. Mais
la difficulté était surtout due au fait que cette amplitude pouvait se retrouver
dans une même journée. De plus, les impasses que nous avons faites au niveau des
vêtements pour limiter le poids du sac, ainsi que la fatigue ont parfois rendu
le froid difficile à supporter. Ainsi dans le Lodge de Khangsar nous étions
transis de froid, aussi couverts qu’au Col Thorong et pourtant il faisait quand
même 15º dans la pièce.
Himal Race (© P. Gatta)
L'organisation de l'Himal Race
Excellente organisation avec plus de 60 personnes regroupées en petites équipes qui ont
assuré la logistique, la gestion des départs, des arrivées, des points de
contrôles, etc. Deux coureurs médecins et trois coureurs secouristes (tous les
cinq apparaissent au classement général) ont assuré le support médical pendant
et après les étapes.
Nepal (© P. Gatta)
L'Alimentation pendant l'Himal Race
Comme souvent, c’est un élément clé en raid où une certaine « rusticité »
est indispensable. L’absence quasi-totale d’hygiène dans les lodges et dans la
préparation des repas entraîne non seulement des problèmes intestinaux mais
parfois coupe même l’appétit. La viande de yak ou de chèvre restée au soleil ou
posée à même des étagères dans une cuisine durant des jours a parfois du mal à
passer. De même pour les œufs qui ont souvent plus voyagés que nous avant
d’arriver dans l’assiette du petit déjeuner. Finalement j’ai quasiment tout
mangé, tout d’abord par respect pour les Népalais qui n’ont pas souvent
l’occasion de manger de la viande, et aussi parce que l’apport en protéines est
indispensable pour limiter la fonte musculaire. Comme souvent, c’est aggravé par
le changement d’habitude, le manque de variété (le riz blanc matin, midi et soir
à la longue ça lasse) et parce qu’en fin de compte on est très loin de 5000 à
6000Kcal nécessaires chaque jour de course.
Sanctuaire des Annapurnas (© P. Gatta)
Récit de l'Himal Race 2002
Trek jusauùqu Sanctuaire des Annapurnas (28 au 30 octobre)
Naya Pul (1100 m) - Machhapuchhre Base Camp (3800 m)
55 km, +4000 m / -1300 m
Nous passons ces trois jours à rejoindre le camp de base du Machhapuchhre point
de départ de
l'Himal Race par l’itinéraire normal du Sanctuaire des
Annapurnas.
Cette marche de liaison nous permet de « nous mettre en jambe » avant le départ
réel de la course. Elle reste néanmoins sélective car nous montons au camp de
base en deux jours et demi au lieu de six pour le trek normal. D’ailleurs trois
concurrents vont renoncer à rejoindre le camp de base et se rendront directement
à Tadapani. Cette marche d’approche restera malgré tout un plaisir pour la
qualité et la variété des paysages, des rizières de Naya Pul au camp de base du
Machhapucchre et celui de
l'Annapurna en passant par les forêts de Ghandrung et
Dobang.
Naya Pul (© P. Gatta)
Machhapuchhre (© P. Gatta)
Etape 1 (31 octobre) : Machhapuchhre Base Camp (3700) - Annapurna Base Camp (4100) - Tadapani (2700)
50 km, +2035 m / - 3050 m, 7h52m
4h du matin, nous sommes tous pressés d’attaquer cette première étape de
l'Himal
Race, pourtant la sortie du sac de couchage se fait tout en douceur. Dans le
lodge il fait 3ºC et la nuit à 3700 m n’a pas été très confortable.
6h30, nous arrivons tranquillement du camp de base de
l'Annapurna (ABC) d’où
sera donné le départ. Les premiers rayons de soleil illuminent l’Annapurna I
(8091m), le Bahara Shikhar (7647m) et le Machhapuchhre (6993m). Moment d’émotion
pour Yves Detry qui n’était pas revenu ici depuis son ascension de l’Annapurna I
en 1988.
Quelques dizaines de photos plus tard, le départ de
l'Himal Race est donné.
Malgré les 60 km annoncés, le froid, l’altitude (4100 m) et le sol enneigé, le
rythme de course ressemble plus à celui d’un semi-marathon qu’à un raid de
1200 km !
11h, revenu vers 2500 m d’altitude dans cette grande forêt du sanctuaire des
Annapurnas, la température plus clémente nous permet d’enlever la polaire et
autre collant. Comme beaucoup je vais souffrir lors de la montée de Chomrong ;
+400 m uniquement en marches d’escalier sous un soleil de plomb. Il doit faire
30ºC de plus qu’au départ de la course 4h plus tôt.
Les derniers km sont à l’image de l’ensemble de l’étape ; superbes mais
éprouvants. Descendus à 1800 m à Chule, il nous faut maintenant remonter à 2700 m.
La forêt tropicale, les fougères, les mousses et les singes émerveillent et
surprennent après les paysages de haute montagne de ce matin.
Après une douche bien méritée, nous passons le reste de l’après midi à laver le
linge, manger et faire des étirements. Le premier a mis 4h52, le dernier 10h48
et la course connaît le premier abandon.
Philippe au camp de base de l'Annapurna (© P. Gatta)
Etape 2 (1er novembre) : Tadapani (2700 m) - Poon Hill (3200 m) - Dana (1450 m)
40 km, +1460 m / -2535 m, 5h55 m
Cumul : 90 km, +3495 m / -5580 m
Après une première partie en forêt, nous rejoignons les crêtes entre Tadapani et
Ghorepani. Un soleil radieux nous permet d’admirer toutes les montagnes, du
Dhaulagari (8167m) au Nord Est, à la chaîne des
Annapurnas au Nord Ouest. Le
parcours nous offre une petite séance de montagnes russes avec la descente sur
Ghorepani suivie de la raide montée de Poon Hill.
Nous signons rapidement le point de contrôle au sommet de Poon Hill avant
d’attaquer les 2000 m de descente non-stop. Vers midi, Mikael Delonglee, Pasang
Sherpa et moi sommes persuadés qu’il ne reste que quelques minutes avant
l’arrivée. Hélas, le village que nous voyons n’est pas Dana mais Tatopani, il
nous reste donc 6km et +300 m à faire en pleine chaleur et avec un sac à dos qui
a du mal à se faire oublier (10kg). Seule consolation, les encouragements de
l’ensemble des personnes que nous croisons, tant Népalais que touristes. A
croire que tout le monde autour des
Annapurnas est au courant de la course.
Après cette longue étape de descente, les premiers problèmes de genoux
apparaissent et les bons « grimpeurs » Pascal Beaury en tête, commencent à
retrouver le sourire avec le programme des trois jours à venir où nous passerons
de 1400 m à 5400 m d’altitude...
Meilleurs temps de l’étape 4h24, dernier 13h39. Plusieurs coureurs ont eu 4h de
pénalité pour avoir évité l’aller retour au sommet de Poon Hill.
Poon Hill (© P. Gatta)
Etape 3 (2 novembre) : Dana (1450 m) - Marpha (2670 m)
45 km, +1600 m / -305 m, 5h59m
Cumul : 135 km, +5095 m / -5885 m
Nous quittons Dana, ses plantations de pommes et d’agrumes pour retrouver
progressivement un paysage de montagne. Au-dessus de Dana la vallée devient plus
étroite et profonde. Le sentier escarpé passe au mieux à flanc de colline,
évoluant chaque année au rythme des effondrements et des ravages de la mousson.
Partie en tête du premier groupe je fais le maximum pour creuser l’écart. Hélas,
il semble que tous les muletiers de la vallée aient décidé de prendre le chemin
en sens inverse. Le croisement avec leurs mules aussi lourdement chargées
qu’ignorantes des règles de priorité donneront lieu à quelques croisements
plutôt musclés.
Au-dessus de Kalopani le paysage devient minéral et désertique comme au Tibet.
Le chemin est devenu plat et pavé de grandes pierres plates portées à dos
d’homme. A Sokung, comme de nombreux coureurs je quitte le chemin pour passer
directement dans le lit de la rivière. Si le choix est judicieux au début, il
devient de plus en plus discutable. Au 7e passage de rivière j’ai de l’eau
jusqu’aux cuisses et je tangue dangereusement sous la pression de l’eau. Les
villageois ont arrêté leur travail pour regarder morts de rire ce coureur fou
remonter la Kaligandaki river à 2km/h en vitesse de pointe au lieu de prendre le
magnifique chemin à moins de 100 m de là.
La séance de thalasso se termine sans autre problème à Marpha où nous
rejoignions Anna Gatta qui a évité les trois premières étapes.
Meilleurs temps 4h33, dernier 9h25.
Tadapani (© P. Gatta)
Etape 4 (3 novembre) : Marpha (2670 m) - Kagbeni - Muktinath (3700 m)
25 km, +1115 m / -150 m, 4h05 m
Cumul : 160 km, +6210 m / -6036m
C’est parti pour l’étape la plus courte du raid. Une fois encore le choix entre
le chemin et le lit de la rivière va se reposer. Cette fois c’est Amerigo
Puntelli qui sera le moins chanceux puisqu’il va tomber complètement dans la
rivière, c’est un autre concurrent qui va lui tendre son bâton pour l’aider à
sortir.
Kagbeni marque le point le plus au nord de notre tour des
Annapurnas, au-delà
c’est la province fermée du Mustang. Nous obliquons donc vers l’est pour
commencer la raide montée jusqu’à Muktinath.
Meilleurs temps 2h50, dernier 6h15.
Nous passons la journée du 4 novembre à Muktinath. Repos, acclimatation, test
d’effort et lessive sont au programme. Lassé du riz et du Dalbat j’enchaîne les
« pizzas tomato cheese » et les lasagnes. Même si les recettes sont très
locales, c’est un réel plaisir. Je profite de ce jour de repos pour prendre une
douche froide, malheureusement entre la température extérieure et la fatigue il
me faudra près de 20 minutes pour me réchauffer et cesser de grelotter.
Muktinath (© P. Gatta)
Dhaulagiri from Muktinath (Photo Wikimedia Commons)
Etape 5 (5 novembre) : Muktinath (3700 m) - Thorong La (5416m) - Khangsar (3800 m)
45 km, +2240 m / -2135 m, 8h37m
Cumul : 205 km, +8450 m / -8170 m
Pour certains c’est aujourd’hui la première confrontation avec l’altitude. Nous
quittons Muktinath à 5h du matin pour une marche de liaison jusqu’au col Thorong
La (5416m). La plupart des coureurs vont arriver avant l’heure limite fixée à
10h. Au col, Maryse Dupre (coureur médecin), Jean-Marc Wojcik (coureur médecin)
et Gilles Greffier (coureur secouriste) vont contrôler les concurrents et
vérifier la saturation en oxygène (67% dans mon cas).
Puis chacun marque son heure de départ pour le début de cette étape qui part du
col jusqu’à Khangsar. Comme beaucoup, je renonce assez vite à courir, les jambes
lourdes et le mal de tête nous rappellent que nous sommes toujours à plus de
5000 m. Je vais finalement faire une grande partie de l’étape avec Patrick
Rolland et Yves Detry. Nous discutons montagne et alpinisme avec la Grande
Barrière qui se dresse en face de nous. Cette chaîne de montagnes qui va de
l’Annapurna III (7855 m) au Tilicho Peak (7134m) a été nommée ainsi par
l’expédition de Maurice Herzog en 1950 qui cherchait un chemin d’accès vers
l’Annapurna I (lire Annapurna premier 8000 par Maurice Herzog).
Vers midi nous traversons la Jhorgeng river sur deux rondins de bois instables
avant de remonter de 350 m vers le petit col qui mène à Khangsar. Bien comptant
de voir le village après plus de 8h de course, nous terminons tous les trois au
sprint à travers les terrasses sous l’œil impassible des yaks. Les fesses
endolories par deux chutes, les poumons en feu, nous savourons enfin le hot
lemon offert à chaque arrivée.
Meilleurs temps 6h36, dernier 14h. Marie-Jeanne Simons ne rejoindra pas Khangsar
et un coureur va éviter de justesse un œdème cérébral.
Philippe à Muktinath (© P. Gatta)
Thorong La (5416m) (© P. Gatta)
Etape 6 (6 novembre) : Khangsar (3800 m) - Tilicho Lake (5100 m) - Manang (3350 m)
40 km, +1955 m / -2405 m, 8h52m
Cumul : 245 km, +10405 m / -10575 m
Nous quittons Khangsar très tôt en direction du lac Tilicho pour une nouvelle
étape à plus de 5000 m. Très vite une séance de montagnes russes débute avec un
chemin oscillant entre 4000 m et 4200 m d’altitude. Plus haut le chemin fait place
à une longue traversée dans de grandes pentes de sable où il faut rester
vigilant. La fin est plus raide et monte rapidement en lacets sous les
contreforts du lac. Après 5000 m, la pente est plus douce, couverte de neige. Le
paysage est grandiose avec la Grande Barrière au sud, le lac Tilicho d’un bleu
profond, le Tilicho Peak et au fond le Mesokantu La.
Nous prenons le temps d’admirer le paysage, jeter un coup d’œil à la voie
normale du Tilicho Peak et signer le check point avant de commencer la longue
descente. Nous passons la ligne d’arrivée à Khangsar et le temps de prendre une
Noodle soup, nous poursuivons vers Manang en marche de liaison.
Encore une journée sans douche ni lessive, il est trop tard et il fait trop
froid. Nous prenons un rapide dîner avant d’aller nous coucher vers 20h, demain
une autre longue journée nous attend.
Meilleurs temps 5h35, dernier 11h. Trois personnes n’ont pas pris le départ et
trois autres ont abandonné en cours d’étape pour descendre directement sur
Manang.
Tilicho Lake (5100 m) (Photo Wikimedia Commons)
Etape 7 (7 novembre) : Manang (3350 m) - Gharyu (3670 m) - Lata Marang (2450 m)
50 km, +820 m / -1910 m, 6h47m
Cumul : 295 km, +11225 m / -12485 m
C’est parti pour une nouvelle montée vers Gharyu, le chemin quitte le fond de la
vallée pour rester sur les hauteurs offrant ainsi une belle vue sur les
Annapurnas. Après trois jours passés dans un paysage très minéral, nous
retrouvons enfin des arbres, des buissons et les senteurs de la forêt.
Passé Gharyu, une descente raide et technique mène rapidement à Pisang. Après
l’euphorie de cette descente, je fais un point sur la carte pour me rendre
compte que Lata Marang est encore bien loin. A défaut de mieux, je me console
sur mon paquet de TUC et autres snickers. Anna Gatta et Maryse Dupre ont fait
l’étape à cheval en près de 10h.
Le lodge de Lata Marang est petit et peu confortable mais la famille qui s’en
occupe est charmante. Encore une fois il n’y a pas de douche, je me lave juste
les jambes boueuses à l’eau froide pendant qu’un des gamins lave la vaisselle à
même le sol avec le même robinet...
Meilleurs temps 4h32, dernier 9h36. Anna Gatta, Marie-Jeanne Simons et Patrick
Rolland arrêtent la course et rejoindront Kathmandu en trois jours.
Lata Marang (© P. Gatta)
Etape 8 (8 novembre) : Lata Marang (2450 m) - Dharapani (1950 m) - Bimtang (3800 m)
40 km, +2050 m / -790 m, 6h03m
Cumul : 335 km, +13275 m / -13265 m
La première partie de la course se déroule en sous bois sur un chemin très «
roulant ». Concentré sur ma descente à bon rythme, je lève la tête par moment
pour anticiper les obstacles lorsque tout à coup, au détour du sentier je croise
une armoire ! Sous l’armoire un porteur chaussé de claquettes qui doit peser
60kg tout mouillé monte lentement sur le chemin. Pendant un moment j’ai les
jambes coupées par cette vision, mélange de respect et de peine pour ces
porteurs dont les exploits quotidiens relativisent grandement nos « performances
».
Le check point de Dharapani marque pour nous la fin du tour des
Annapurnas et le
début du tour du
Manaslu. Commence alors 2000 m de montée vers Bimtang. Le
paysage de forêts ressemble aux Alpes mise à part la hauteur exceptionnelle des
sommets qui apparaissent au delà les arbres. Inquiet par l’évolution de la
météo, je presse le pas et parviens à maintenir 700 m/h à la montée. Pas
suffisant toutefois pour éviter la neige qui commence à tomber lorsque je passe
la moraine.
Vers 3800 apparaissent enfin les 3 ou 4 bâtisses qui constituent le village de
Bimtang où nous sommes hébergés par les habitants. Les maisons, constituées de
simples murs de pierre et d’un toit en bois ouvert aux quatre vents, offrent une
pièce principale qui sert à la fois de cuisine et de chambre. Ce passage à
Bimtang n’est pas seulement un voyage dans l’espace mais également un voyage
dans le temps, peut être trois ou quatre siècles en arrière. Ici il n’y a pas
d’eau, pas d’électricité, pas de toilettes, pas de chauffage, pas de lumière, la
cuisine est faite à même le sol sur le feu de bois qui se trouve au centre de la
pièce. Le même bout de tissu sert à essuyer le sol, la vaisselle, les mains...
Dans cette pièce très sombre on distingue des morceaux de viande accrochés au
plafond en train de sécher. Fasciné par ce que je vois, affamé par les 6h
d’effort et en prévision des jours à venir, je fais abstraction de l’hygiène et
finis mon Dalbat à la viande de chèvre. Lorsque nous nous couchons la neige
tombe toujours.
Meilleurs temps 4h30, dernier 10h.
Himal Race (© P. Gatta)
Etape 9 (9 novembre) : Bimtang (3800 m) - Larkya La (5200 m) - Sama Gaon (3500 m)
40 km, +1540 m / -1700 m, 7h31m
Cumul : 375 km, +14815 m / -14965 m
La sagesse ne faisant pas bon ménage avec la course, nous avons décidé à
l’unanimité de faire une marche de liaison jusqu’au col et éviter ainsi que la
montée à 5200 m ne se transforme en hécatombe. C’est donc gentiment regroupés que
nous remontons les pentes enneigées du Larkya La (5200 m), prenant ainsi le temps
d’admirer tout autour la chaîne de 6000 m et de 7000 m pour la plupart vierges.
Petite mesure de la saturation au col (70% dans mon cas) avant de commencer la
course vers Sama Gaon. Deux heures plus tard, j’arrive avec Gilles Rostollan
vers 3600 m à l’entrée d’un village que nous prenons pour Sama Gaon.
Hélas, c’est une nouvelle claque au moral car il s’agit en fait de Sama Gompa et
lorsque nous demandons aux villageois combien de temps il reste, les réponses
varient de 1h à 3h. Une fois de plus la carte est fausse, tant dans
l’emplacement des villages que des altitudes.
Gilles me lâche rapidement et ce n’est qu’après 1h 30 de faux plat pénible
pendant lequel je ne cesse pas de râler seul que je rejoins Sama Gaon que je
rebaptise au passage "Sa ma Gonflé". J’arrive malgré tout suffisamment tôt pour
choisir une des rares couchettes au lieu de devoir dormir à même le sol. Le
choix n’était pas totalement judicieux car placé au-dessus de la cuisine nous
avons pu pleinement profiter de l’odeur de kérosène du réchaud. Allongé sur ma
couchette en bois, j’essaye en vain de me rappeler quand est-ce que j’ai pris ma
dernière douche chaude, voir de ma dernière douche tout court. A noter également
pour le guide Michelin qu’à défaut de confort le rapport qualité prix est
excellent avec une noodle soup à 25 Roupies (2,5F) !
Meilleurs temps 6h36, dernier 10h20.
Larkya La (© P. Gatta)
Etape 10 (10 novembre) : Sama Gaon (3500 m) - Jagat (1250 m)
70 km, +1300 m / -3400 m, 9h07m
Cumul : 445 km, +16115 m / -18365 m
Nous savions que l’étape serait dure et sur ce point nous n’avons pas été déçus.
Nous quittons Sama Gaon pour 1h30 de liaison qui nous permet d’admirer un
superbe lever de soleil sur le
Manaslu (8156m) mais comme personne ne respecte
le rythme de marche, le départ n’est pas donné au même moment ni au même endroit
pour tout le monde.
La première partie de course se déroule dans une forêt où l’eau est
omniprésente. Après quelques dizaines de km nous quittons la forêt pour un
chemin étroit et abrupt surplombant de plusieurs centaines de mètres le fond de
la vallée. Les montées et descentes se succèdent sur un chemin caillouteux,
cassant et sous une chaleur éprouvante. Dans ces conditions difficiles je lève
le pied et pendant une heure, je mange mes biscuits salés, mes barres
énergétiques et je bois abondamment l’eau des cascades que nous croisons. Ce
répit est salvateur pour la fin de la course où je rattrape plusieurs coureurs
fatigués ou blessés. Je passe les deux dernières heures avec Emmanuel Villeneuve
où nous nous soutenons mutuellement pour terminer cette étape mémorable.
Premier 7h32, dernier 13h40. Eddy Kern et Philippe Boyer ne termineront pas
l’étape.
Himal Race (© P. Gatta)
Etape 11 (11 novembre) : Jagat (1250 m) - Arughat Bazar (500 m)
60 km, +1160 m / -1910 m, 6h46m
Cumul : 505 km, +17275 m / -20275 m
Le bilan au petit matin n’est guère brillant ; Vincent Chautard est blessé au
genou, Pascal Beaury et Francis Faure ont des contractures musculaires, nous
sommes sans nouvelles d’Eddy Kern et Philippe Boyer. L’étape du jour s’annonce
presque aussi dure que la précédente, en plus on nous met en garde contre les
rebelles Maoïstes et un pont à moitié effondré à mi-parcours.
Le départ est malgré tout rapide, 30 minutes plus tard le chemin se termine dans
le lit de la rivière et chacun part dans une direction pour essayer de trouver
la suite. Je vois bien le chemin qui reprend plus loin mais dans l’empressement,
je tombe dans l’eau. La colère qui s’en suit me permet de garder un bon rythme
pendant quelques km.
A mi parcours le choix entre le lit de la rivière et le chemin sur les hauteurs
se pose à nouveau. Naïvement je fais confiance à la carte pour finir sur un
chemin abandonné. Après quelques centaines de mètres de dénivelé gravis pour
rien, je redescends fulminant de rage et traverse une fois encore la rivière
sous l’œil éberlué d’un groupe d’italiens qui me prennent en photo. Aldo Callsen
et Emmanuel Villeneuve m’ont rejoint, ils ont compris mon erreur mais par
solidarité ne rient pas, enfin presque pas...
Quelques heures plus tard le pont cassé a été franchi sans problème, les
Maoistes sont restés couchés par contre la fin de course est une fois de plus
interminable. Les villages se succèdent aux villages, les rizières se succèdent
aux rizières et la banderole
Himal Race marquant l’arrivée tarde à venir.
Premier 5h06, dernier +12h.
Muktinath (© P. Gatta)
Etape 12 (12 novembre) : Arughat Bazar (500 m) - Trisuli Bazar (540 m)
55 km, +1740 m / -1670 m, 8h30 m
Cumul : 560 km, +19045 m / -21945 m
Nous commençons l’épate par une marche de liaison pour essayer de trouver la
piste qui mène à Trisuli Bazar. Le climat et le paysage ont radicalement changé,
ici il fait très chaud, 100% d’humidité et le brouillard recouvre l’ensemble de
la vallée.
Alors que nous marchons en ligne entre les rizières et les cultures dans une
ambiance fantomatique, plusieurs coureurs sifflent des musiques de films. Du
pont de la rivière Kwai au jour le plus long en passant par Apocalypse Now. Il
est vrai que l’on s’attend presque à voir surgir les hélicoptères sur fond de
Chevauchée des Valkyries.
Quelques heures plus tard je termine les 900 m de montée qui mènent au premier
col et ce n’est que la moitié du dénivelé de la journée. Moi qui croyais l’étape
plate, c’est râpé.
Dans cette région dépourvue de touristes, il n’y a ni eau minérale, ni Coca Cola
et comme les cours d’eau ne m’inspirent pas confiance (même avec du Micropur),
je ne vais boire qu’un litre et demi en 8h30 et terminer presque aussi sec que
les lyophilisés de ma ration de survie. Pressé d’arriver, je termine à un bon
rythme ce qui est idéal pour visiter Trisuli, je dirais même que si l’on court
très vite c’est encore mieux. Quant au lodge, il est à l’image de la ville mais
au moins il marque la fin de l’étape.
18h30, le couvre feu commence dans 30 minutes mais tout est déjà bouclé. Il n’y
a personne dans les rues, les portes et volets sont fermés et la tension est
encore plus forte en ce deuxième jour de grève générale. Pourtant dans ce lodge
miteux l’ambiance du groupe est excellente. Sans doute sommes nous trop bruyants
car des coups retentissent soudain contre la porte du lodge. Le patron
visiblement très inquiet ouvre pour ce retrouver fasse à une trentaine de
soldats fusil d’assaut à la main. Ils nous expliquent clairement que pendant le
couvre feu il faut gentiment la boucler... A 20h nous allons nous coucher, la
chambre que je partage avec Aldo Callsen est idéalement placée près des
toilettes et le toit en tôle ondulée permet d’apprécier pleinement la pluie
tropicale qui va tomber toute la nuit.
Comme prévu la course s’arrête ici pour Maryse Dupre et moi. Nous restons
bloqués par la grève générale à Trisuli Bazar jusqu’au 14 novembre où nous
pourrons enfin rentrer en minibus à Kathmandu. Deux autres coureurs rentrent
avec nous pendant que deux autres rentrent également sur Kathmandu en bus. Tous
les quatre vont se reposer quelques jours avant de reprendre la course à Jiri.
Népal (© P. Gatta)
Lac Tilicho (© P. Gatta)